Les frères Breguet font partie de ceux qui ont foi en cette industrie et en ses perspectives immenses. Alors ils apprécient Flandin, ce politique convaincu du développement de l’aéronautique commercial, qui se dépense sans compter pour promouvoir cette industrie, favoriser sa reconnaissance et son essor, motiver la filière avec les meetings et les récompenses, et encourager la formation des pilotes.

Une industrie qui a besoin de se perfectionner, d’améliorer ses technologies. Si on veut des avions qui puissent transporter des charges de plus en plus importantes sur des distances toujours plus longues, il faut passer de l’avion en bois à l’avion métallique et améliorer la performance des moteurs. Au début des années vingt, c’était un enjeu de taille. À quelle échéance cette évolution pouvait se faire ? Flandin s’en inquiétait. Tout retard dans ce processus risquait de décourager les acteurs de ce marché et donner des arguments à ceux qui n’y croyaient pas. L’enjeu était de taille.
Pierre-Étienne Flandin s’en entretient un jour avec Louis Breguet, lors d’un meeting aérien. Sa réponse est catégorique :
« …L’avion métallique ? Mais bien sûr que c’est l’appareil de l’avenir… Est-ce qu’on fait des locomotives en bois ? Non ! Eh bien alors !!! Je l’ai du reste prouvé puisque je ne fais plus que de ceux-là…
« Mais tu sembles être le seul, objecte Flandin. »
« Écoute, pour moi le bois n’a jamais été qu’une matière d’étude, une matière préparatoire… On parle des ennuis avec les rivures… les différences de dilatation des métaux ? Mais tout cela est solutionné. Tout va bien. Le Duralumin ne se conduit pas mal en aéronautique, mais j’espère qu’on trouvera mieux. L’« électron », ce nouveau métal, constitue déjà un progrès, seulement il est rare… nous découvrirons autre chose, tu verras… »
« Mais pourquoi les Allemands construisent en série des avions métalliques ? demanda Flandin. »
« Nous ferons des avions métalliques avant qu’il ne soit longtemps. Néanmoins, il vaudrait mieux y venir progressivement. Si nous allons trop vite, nous ferons des bêtises ; et, les bêtises, les erreurs, coûtent fort cher en aviation ! Tu le sais bien. Et les Allemands, je ne vois rien de si étonnant dans ce qu’ils ont fait et c’est pour cela, très probablement, qu’ils abandonnent la construction métallique. Leurs ailes épaisses, recouvertes en métal, ont été la cause d’un grand nombre de désillusions, et puis leur monoplan sans haubanage, qui devait étonner le monde, qu’a-t-il fait ? Rien. C’est à peine s’il est arrivé à enlever son homme. De toute façon, l’appareil sérieux c’est le biplan. Imagine que l’on ait toujours fait des monoplans et qu’un monsieur vienne nous proposer le biplan dont il serait l’inventeur, nous le considérions tous comme un génie. »

Toute cette industrie est en pleine mutation. Les industriels ont besoin de vendre leurs avions pour financer leurs recherches, et leurs clients, les compagnies commerciales, doivent prendre le relais du militaire, qui a mis les commandes entre parenthèse, maintenant que la guerre de 14/18 est terminée. Ces compagnies aériennes doivent se développer et, pour cela, il leur faut disposer d’avions leur offrant une sécurité maximale pour séduire de plus en plus de clients… Les voyageurs seront conquis par ce moyen de transport si l’avantage aérien devient vraiment compétitif par rapport au train ou au bateau. Et pour cela il faut que les avions parcourent des distances de plus en plus longues le plus rapidement possible. Pour que cette spirale se mette en marche, l’état doit jouer un rôle pour que ces deux industries complémentaires qui, à présent, dépendent l’une de l’autre, puissent prendre leur essor.
Pierre-Étienne Flandin marque ses convictions et affirme ses certitudes. Il sera président de l’Aéro-club de France pendant dix ans, en plus de ses activités politiques.
Dès 1920, il déclare avec enthousiasme :
« J’ai parcouru maintenant sur les lignes régulières de Transport aérien et dans ces deux dernières années près de 10.000 Km et je ne me souviens pas qu’un moyen de transport m’ait offert plus de satisfaction tant au point de vue de la régularité moyenne que du confort. Je ne suis resté qu’une fois en panne entre Paris et Londres et encore, j’ai pu terminer mon voyage par les moyens de transport ordinaires, de telle sorte que, de mon départ à mon arrivée, j’ai gagné encore du temps sur le chemin de fer. Je ne nie pas que beaucoup de progrès restent encore à accomplir, mais c’est une raison de plus pour persévérer dans la politique d’encouragement à la navigation aérienne.

En Allemagne, aussi, la fin de la première guerre mondiale a mis un coup d’arrêt à l’aviation militaire. Les termes de l’armistice interdisent le réarmement, donc le développement de son aviation militaire. Les industriels doivent se reconvertir. Ainsi l’entreprise Fokker crée une version commerciale de son biplan « D VII » qu’elle présente au Salon aéronautique de Copenhague en avril 1919. Un certain Hermann Goering en sera le représentant de commerce le plus célèbre. Auréolé de ses victoires aériennes pendant la guerre de 14-18, l’homme qui n’a jamais peur de rien, qui aime le luxe et les femmes, mais déteste les juifs, et qui adore parader dans des uniformes chamarrés sur lesquels il exhibe ses décorations, cet homme saura être un pilote émérite de l’aviation civile allemande avant de rejoindre Adolphe Hitler dans sa conquête du pouvoir puis de sa chute.
