La stratégie de repentance

Le slogan de Paris Match est bien trouvé ; concis, précis. « Le poids des mots, le choc des photos ». Pour le choc, rendez-vous dans les premières pages : « Côté mode, le soleil se lève à l’est ». Même si le style est volontairement « destroye », les matières sont raffinées et « les jeans sont lacérés brodés ». On déchire et on recoud partiellement à la main avec des fils soyeux. Les filles sont grandes et blondes. C’est le luxe baroque. Les jeunes couturiers venus de l’est témoignent du renouveau d’une Europe qui rattrape le temps perdu. « Les fantômes d’hier hantent les silhouettes d’aujourd’hui ». Les pages nous permettent de découvrir talent et délire. Les couleurs sont justes et les matières raffinées. Les maquillages sont travaillés sur des filles tout en jambe. C’est un plaisir pour les yeux. Un fantasme correct et pas seulement pour une soirée, why not ? L’imaginaire nous promène gentiment. Les stars et autres leaders d’opinion ont adopté ce style « streetware », alors on se doit de leur ressembler. Et on tourne la page du magazine. 

Que n’avons-nous pas fait là ? Du glamour on passe à la détresse humaine la plus révoltante. Les photos sont en noirs et blancs et montrent qu’à quelques milliers de kilomètres plus au sud, à quatre heures d’avion, des milliers de gens meurent dans des conditions horribles. L’Afrique agonise. « Sur les 22 millions de victimes emportées par le sida depuis son apparition dans les années 70, 17 millions sont du continent noir ». Tout est dit. Des mots qui pèsent lourds. Et des photos qui se succèdent plus insupportables les unes que les autres. Qu’ont-ils fait pour mériter une telle déchéance ? C’est atroce, insupportable, écœurant, honteux. N’y a-t-il aucune volonté politique pour changer les choses ? Ces pays pillés par leurs propres dirigeants, avec le concours des technologies des pays du Nord, n’ont pas les moyens d’acheter les médicaments nécessaires. Serait-ce suffisant ? Il faut tout reprendre à zéro : éducation, hygiène, eau potable. Incapables de s’adapter au monde moderne, ils n’en subissent que les désagréments. Les capitaux déversés n’ont d’efficacité que s’ils sont employés à bon escient, au bon moment, au bon endroit après analyse des priorités et sous contrôle.
C’est ainsi que les grands de ce monde croient faire quelque chose d’utile en proposant d’effacer la dette des pays pauvres. Est-ce un moyen pour eux de se débarrasser du problème et de rassurer leur conscience ?
« On ne comprend rien aux causes de la misère africaine si l’on s’obstine à l’expliquer par le vieux cliché bien-pensant des pays riches refusant d’aider les pays pauvres. À quoi servirait d’« annuler les dettes des pays pauvres », comme le réclament le pape et les ONG, si les aides versées et les prêts consentis ne sont, en fait, jamais investis dans le développement et sont instantanément virés sur les comptes étrangers des voleurs politiques ? Dans ces conditions, on peut continuer à aider pendant mille ans sans le moindre résultat. » écrit Jean-François REVEL.
Pour faire bouger les lignes il faudrait que les peuples des pays du Nord s’engagent dans ce combat et que ce soit un sujet important pour eux. L’est-il ? On constate plutôt que le consommateur occidental a peu de bienveillance pour les déshérités. Il parcourt leurs pays avec un regard compatissant mais il n’est séduit que par le soleil, les couleurs criardes et les beaux visages d’enfants en guenilles qui ne se plaignent pas, eux. Il envie leur sérénité face à leur fatalité supportée au quotidien. Il aime leur musique et leur nonchalance qui le rassurent sur leur condition, car il ne faut pas qu’il reparte avec une mauvaise opinion mais, au contraire, avec l’espoir que tout va s’arranger pour eux, même s’il n’a pas la moindre idée des moyens qu’il faudrait mettre en place pour y arriver. Ce n’est pas son sujet ni sa responsabilité. Le « Tour Operator » se gardera bien de ne pas promener ses touristes dans des zones trop déshéritées. Il contrôle tout pour qu’il garde un bon souvenir de son voyage et soit un ambassadeur enthousiaste auprès de ses amis. L’espoir réside peut-être dans le problème de l’immigration que subit actuellement l’Europe et que les peuples commencent à ne plus supporter. Espoir, car si les conditions de vie étaient meilleures en Afrique, il y aurait moins d’envie d’émigrer.
On voit sur les réseaux sociaux une carte d’Afrique datant de l’époque coloniale. Les ¾ du continent sont assujettis à un pays européen, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Portugal essentiellement. Le commentaire accompagnant est : « On comprend mieux pourquoi les Africains nous en veulent » ou « On les a colonisés, à leur tour à présent de nous coloniser » etc. Autant de commentaires de repentance justifiant notre culpabilité. Ce sont des raisonnements un peu simplistes. D’abord, parce que toute l’histoire de l’humanité n’est faite que de conquêtes et d’empires érigés puis défaits. Ensuite parce que les colonisations n’ont pas apporté que des désagréments. L’apport de connaissances culturelles ou scientifiques permettent des avancées réelles – voir le droit romain chez les Gaulois. Mais surtout parce que ce discours n’améliore en rien les conditions de vie des Africains. Il satisfait la bonne conscience de certains anciens colonisateurs qui ne voient dans cette épopée que du mal. Et il permet de ne rien engager. L’émigration n’est jamais un plaisir pour ceux qui prennent des risques pour fuir leur pays. Si l’homme occidental veut être utile, c’est en contribuant à mettre en place les conditions de développement des économies africaines pour que ces populations restent chez elles avec joie, près de leurs proches, confiant de leurs coutumes et de leurs habitudes. Là est l’enjeu. Faire son mea-culpa n’améliorera pas leur quotidien. Les paroles nourrissent l’esprit, pas le ventre de ceux qui ont faim.
Détourner les esprits des citoyens vers le futile permet d’éviter des prises de conscience qui dérangent.

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