Palantir : l’œil qui voit tout — quand la sécurité devient surveillance
11 septembre 2001 : naissance d’un monstre invisible
Tout commence dans la poussière et la stupeur.
Les tours du World Trade Center s’effondrent, et avec elles, les certitudes d’un Occident persuadé de sa toute-puissance.
Ce jour-là, le monde bascule.
Sous le choc, les États-Unis adoptent une série de lois d’exception : Patriot Act, FISA Act.
L’État s’octroie le droit d’écouter, de lire, de tracer.
Chaque e-mail, chaque appel, chaque pas dans le monde numérique devient une donnée exploitable.
Bienvenue dans l’ère du Big Data — celle où tout ce que vous faites, dites ou pensez devient une ressource stratégique.
Et sur les cendres encore fumantes du 11 septembre, une société privée va se donner pour mission de voir ce que personne ne doit voir.
Son nom : Palantir Technologies.
La pierre de vision du nouveau pouvoir
Créée en 2003 par Peter Thiel, le libertarien de la Silicon Valley, et Alex Karp, philosophe néomarxiste devenu PDG, Palantir doit son nom à la mythologie de Tolkien.
Les palantíri étaient ces pierres magiques permettant de voir à distance, dans le temps et dans l’esprit des hommes.
Une métaphore parfaite : Palantir voit tout.
Et comme dans Le Seigneur des Anneaux, la vision qu’elle renvoie dépend de celui qui regarde.
Financée dès le départ par la CIA via son fonds d’investissement In-Q-Tel, Palantir devient le bras numérique du renseignement américain.
Sa mission : détecter l’invisible, relier les points entre terroristes, flux financiers, réseaux sociaux, déplacements, et comportements.
L’algorithme comme arme absolue.

⚙️ Gotham et Foundry : les cerveaux du système
Au cœur de la machine, deux produits :
- Gotham, destiné aux armées, aux services de renseignement, aux polices.
- Foundry, vendu au privé : Airbus, BP, Sanofi, NHS…
Gotham agrège tout :
vidéos de drones, écoutes, GPS, mails, fiches médicales, achats.
Il relie, corrèle, projette — jusqu’à prédire.
C’est avec Gotham que l’armée américaine traque les insurgés en Irak,
et plus récemment que les forces israéliennes identifient 100 cibles par jour à Gaza.
Ce n’est plus de la donnée : c’est une killchain.
L’algorithme qui tue.
Palantir n’est plus un outil d’analyse.
C’est une machine de guerre cognitive.
Du 11-Septembre à Gaza, en passant par Kiev
Palantir a été partout où le feu couvait.
Irak, Afghanistan, Ukraine, Palestine.
Toujours du “bon côté”.
En 2022, Alex Karp se rend à Kiev pour offrir à Zelensky sa technologie de ciblage.
Les Russes sont modélisés, localisés, anticipés.
L’Ukraine devient un laboratoire de guerre augmentée par l’IA.
En 2024, Palantir équipe Israël.
Ses algorithmes identifient, classent et priorisent les cibles “à éliminer”.
Karp, droit dans ses bottes, déclare :
“Faire peur aux ennemis. Et, à l’occasion, les tuer.”
De la sécurité à la prédation, la frontière est franchie.
️ L’entreprise la plus puissante dont vous n’avez jamais entendu parler
Palantir, c’est le Google du renseignement, mais sans moteur de recherche public.
Une société valorisée à 420 milliards de dollars, qui travaille pour :
- la CIA, la NSA, le FBI,
- le Pentagone, la DGSI,
- et des centaines d’agences publiques et multinationales.
En 2025, elle dépasse Boeing et Lockheed Martin en capitalisation.
Ses revenus explosent : +48 % en un an.
Et pourtant, peu savent ce qu’elle fait.
Même ses anciens employés admettent ne pas comprendre totalement ses produits.
Tout est cloisonné, compartimenté, opaque.
Comme si la société elle-même avait été conçue pour empêcher qu’on la voie.

Peter Thiel, Alex Karp : les deux visages d’un empire
L’un, Peter Thiel, libertarien ultranationaliste, mentor de JD Vance et proche de Donald Trump.
L’autre, Alex Karp, intellectuel social-démocrate, progressiste et philosophe.
Deux idéologies, un même credo : le pouvoir par la donnée.
Thiel a théorisé l’idée dans son livre From Zero to One :
“Celui qui contrôle l’information crée le futur.”
Et Palantir est l’incarnation parfaite de ce dogme.
Une entreprise privée qui, au nom de la sécurité, s’est glissée dans les artères du pouvoir public.
Ni élue, ni contrôlée.
Mais indispensable.
Le prix de la transparence : scandales et dérives
Derrière le vernis patriotique, les scandales s’enchaînent.
- Nouvelle-Orléans (2012-2018) : Palantir teste la “police prédictive”. Des citoyens notés, surveillés, fichés sans mandat.
- Wikileaks (2011) : tentative de discréditation orchestrée par Palantir pour le compte de la Bank of America.
- Projet ICE (2018) : utilisation du logiciel Falcon pour traquer les migrants illégaux.
- Fusion des bases de données fédérales (2025) : selon le New York Times, Palantir centralise les informations de santé, impôts, sécurité sociale, défense.
Un profil complet pour chaque citoyen.
Bienvenue dans le futur selon Palantir.
Et la France dans tout ça ?
Nous sommes le troisième marché mondial de Palantir, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni.
Depuis 2016, la DGSI travaille avec ses outils.
Officiellement pour la cybersécurité.
Officieusement pour “anticiper les menaces”.
Mais, grâce à Palantir, les enquêteurs démantèlent des réseaux de trafic d’êtres humains, retrouvent des enfants exploités et élucident des affaires de criminalité financière complexes .
Les organisations humanitaires peuvent ainsi acheminer plus efficacement leurs ressources vers les communautés touchées par des catastrophes naturelles.

Du Big Data à Big Brother
24 ans après le 11 septembre, le monde a basculé.
Et Palantir incarne cette bascule mieux que quiconque.
Une entreprise qui n’a pas seulement mis l’intelligence artificielle au service de la défense,
mais la défense au service de l’intelligence artificielle.
Derrière le discours de “protection de l’Occident”,
il y a la réalité d’un monde où chaque citoyen devient une donnée,
chaque donnée un risque,
et chaque risque une cible.
Quand leurs algorithmes décideront qui est dangereux, qui est suspect, qui doit être éliminé,
de quel côté de la ligne serez-vous ?
Parce que cette ligne, croyez-le bien, elle existe déjà.
Et elle se dessine, en ce moment même, quelque part dans les serveurs de Palantir.
Comment Palantir agrège ses données ?
Palantir ne pirate pas directement les données des citoyens comme le ferait une agence de renseignement clandestine.
En revanche, elle accède à des volumes colossaux d’informations par effet de délégation : les données lui sont « données » par ses clients, mais ces clients n’en mesurent pas toujours toute la portée.
Les données sont fournies par ses clients institutionnels
Les gouvernements, les armées et les entreprises importent eux-mêmes leurs bases de données dans les outils Palantir.
- La CIA, la NSA, le Pentagone ou la DGSI en France lui confient leurs données internes (écoutes, enquêtes, surveillance).
- Les grandes entreprises (Airbus, Sanofi, BP, Morgan Stanley, NHS britannique, etc.) font de même avec leurs données industrielles ou commerciales.
En théorie, donc, Palantir ne collecte rien sans contrat ni consentement de ses partenaires.
Mais…

Palantir hérite de l’accès global
Une fois les données intégrées, elles transitent dans ses infrastructures logicielles (souvent hébergées dans des clouds partenaires, parfois sur serveurs Palantir eux-mêmes).
Cela signifie qu’en pratique :
- L’entreprise voit tout ce que ses logiciels traitent, même si c’est via des instances cloisonnées.
- Elle apprend des modèles créés sur ces données (métadonnées, patterns, comportements),
ce qui lui permet de raffiner ses propres algorithmes sur des volumes cumulés.
En clair :
Palantir ne copie pas vos fichiers —
mais elle apprend de leur structure et de vos usages.
C’est ce qu’on appelle la capture indirecte de données comportementales.
Effet “cascade” : les partenaires exposent leurs propres utilisateurs
Quand une entreprise cliente intègre Palantir Foundry ou Gotham,
elle y injecte ses propres bases : clients, fournisseurs, employés, utilisateurs.
Exemples :
- Une banque cliente de Palantir exporte ses transactions → cela inclut les comptes de ses clients.
- Une agence publique y met ses fichiers fiscaux → cela inclut vos revenus.
- Une entreprise de santé y verse des données médicales pseudonymisées → cela inclut vos dossiers patients.
Officiellement, ces données sont “anonymisées” ou “pseudonymisées”,
mais Palantir a justement été conçue pour recouper ces fragments et réidentifier les individus.
⚙️ Palantir n’a pas besoin de voler les données : elle les relie
C’est là sa vraie force — et sa vraie dangerosité.
Elle n’a pas besoin de pirater ni d’espionner : il lui suffit que les autres le fassent.
Elle relie les points :
- entre bases de données nationales (santé, justice, sécurité),
- entre services partenaires (CIA, Interpol, DGSI),
- entre secteurs privés et publics (santé + finance + mobilité).
Elle crée ainsi un graphe global, où tout devient traçable sans qu’aucune des parties n’ait explicitement autorisé la fusion complète.
Chaque client croit contrôler sa partie — mais le tout appartient au système Palantir.

Cas limite : la “donnée grise”
Certaines données sont collectées à l’insu des personnes concernées, mais indirectement.
Exemples documentés :
- Données de géolocalisation issues d’applications tierces (via fournisseurs de data brokers).
- Données sociales issues de métadonnées publiques (posts, hashtags, commentaires).
- Données partagées entre agences via accords secrets (FISA, Patriot Act, Cloud Act).
Dans ces cas, Palantir ne collecte pas illégalement —
elle achète ou reçoit des ensembles de données déjà extraits, souvent sans consentement explicite des utilisateurs.
Autrement dit :
elle ne vous espionne pas directement,
mais profite d’un écosystème déjà structuré pour vous exposer.
⚖️ Le flou juridique, sa meilleure arme
- En Europe, le RGPD limite théoriquement ce type de recoupement,
mais les agences de renseignement et les contrats de défense en sont exemptés. - Aux États-Unis, les lois comme le Cloud Act autorisent les entreprises américaines à accéder à des données hébergées à l’étranger.
Résultat :
Palantir peut traiter des données européennes depuis les États-Unis,
en toute légalité selon le droit américain, mais en contournant le droit européen.
Alex Karp joue la carte du pragmatisme :
« Nous aidons les gouvernements à protéger leurs citoyens. Nos technologies sont conformes à la loi et à l’éthique. »
Mais cette défense sonne creux.
La légalité n’est pas toujours légitime, surtout lorsque la loi n’a pas suivi la technologie.
En l’absence d’un cadre clair sur la protection des données, la porte reste ouverte à toutes les dérives : surveillance de masse, manipulation comportementale, profilage politique.
Le monde entre dans une phase où l’intelligence artificielle n’observe plus seulement nos données, mais nos intentions.
L’enjeu n’est plus seulement la vie privée, mais la liberté cognitive.
À mesure que l’IA prédictive s’intègre dans les sphères fiscales, militaires et sanitaires, la ligne entre prévention et préemption s’efface.
Et demain ? Quand un algorithme déterminera qu’un citoyen « risque » de commettre une faute, que restera-t-il du libre arbitre ?
En résumé
| Source de données | Accès Palantir | Consentement utilisateur | Risque |
|---|---|---|---|
| Gouvernement (police, armée) | Données injectées sous contrat | ❌ Aucun | Surveillance d’État |
| Entreprises clientes | Données clients / employés | ⚠️ Implicite | Profilage de masse |
| Brokers de données | Achat indirect | ❌ Aucun | Exploitation comportementale |
| Réseaux sociaux / open data | Public | ✔️ Partiel | Recoupement et réidentification |
| Systèmes connectés (IoT, GPS) | Partenariats tiers | ❌ Aucun | Suivi en temps réel |
Conclusion :
Palantir ne vous “vole” pas vos données.
Elle les reçoit en cadeau, souvent par ignorance ou par délégation,
et les transforme en savoir stratégique — sans jamais avoir besoin de vous demander la permission.
Rassurés ?