Le Portugal de Salazar : comment la deuxième guerre mondiale l’a épargné ?

Pendant que l’Europe s’embrasait sous les bombes, Lisbonne dansait encore.

Un petit État autoritaire, pauvre et isolé, a survécu à la Seconde Guerre mondiale sans un coup de feu.

️ Chronologie des évènements :

1939 : Salazar proclame la neutralité du Portugal.

1940-42 : Commerce ambigu : vente de tungstène aux Allemands, coopération discrète avec Londres.

1941 : Lisbonne devient la capitale des espions.

1943 : Les Alliés obtiennent l’usage des bases aériennes des Açores.

1945 : Fin de la guerre : le Portugal est intact, diplomatiquement gagnant.

La plus vieille alliance du monde

Le traité de Windsor (1386) unit le Portugal et l’Angleterre.
Pendant la deuxième guerre mondiale, cette vieille amitié protège Salazar.
Churchill a besoin des Açores, mais aussi d’un Portugal stable pour sécuriser la route maritime vers l’Amérique.
Hitler, lui, craint d’entraîner Franco dans une guerre ingagnable en Ibérie.

⚖️ Un équilibre dangereux

Salazar joue les équilibristes :

  • Il vend du tungstène à l’Allemagne, métal crucial pour les blindages et les obus.
  • Il laisse les Britanniques utiliser les ports et les câbles de communication.
  • Il garde son pays hors du conflit tout en renforçant sa position économique.

« Salazar a mené une guerre diplomatique parfaite : sans armée, il a vaincu par la prudence. »*

️‍♀️ Lisbonne, carrefour des ombres

Pendant ces années, la capitale devient une Casablanca européenne :

  • Espions de tous les camps, diplomates, exilés, trafiquants.
  • Les hôtels Aviz et Tivoli regorgent d’agents secrets.
  • Des milliers de réfugiés juifs transitent grâce aux visas du consul Aristides de Sousa Mendes.

Les Açores : clé de l’Atlantique

En 1943, Salazar concède aux Alliés l’usage des bases des Açores.
Elles permettent de ravitailler les convois transatlantiques et de lutter contre les sous-marins allemands.
Sans cette position, la guerre de l’Atlantique aurait été plus longue et plus coûteuse.

Un pays indemne, un régime consolidé

Quand la guerre s’achève, le Portugal n’a pas perdu un homme.
Son économie est restée stable, sa monnaie forte.
Salazar sort de la guerre plus puissant que jamais — son régime durera encore trente ans.

Dans une Europe ruinée, Lisbonne brille comme une survivante.
Un miracle ? Non : une diplomatie du silence et du calcul.

De la prudence à la chute : la fin du salazarisme

Pendant trois décennies après la Seconde Guerre mondiale, le Portugal de Salazar reste figé dans le temps.
Alors que l’Europe se reconstruit et s’industrialise, Lisbonne s’enferme dans son Estado Novo, un régime autoritaire, conservateur et catholique.

Un ordre figé dans le passé

Salazar, professeur d’économie devenu dictateur, gouverne avec trois piliers :

  • Dieu, Patrie, Famille.
  • Une censure impitoyable.
  • Une police politique redoutée : la PIDE (Police internationale et de défense de l’État).

Le pays vit replié sur lui-même, pauvre mais stable.
Les routes sont calmes, les grèves interdites, la presse muselée.
Salazar voit dans la démocratie un désordre et dans la liberté un danger.
Sa devise implicite : “Mieux vaut la pauvreté dans l’ordre que la richesse dans le chaos.”

L’Empire colonial, fardeau de la fin

Mais le monde change.
À partir des années 1950, l’Afrique s’éveille.
Tandis que la France et le Royaume-Uni décolonisent, Salazar s’accroche à son empire : Angola, Mozambique, Guinée-Bissau… qu’il appelle “les provinces d’outre-mer”.

Les guerres coloniales qui éclatent dans les années 1960 deviennent un cauchemar financier et humain :

  • 150 000 soldats portugais mobilisés.
  • 40 % du budget national consacré à la guerre.
  • Une jeunesse exilée pour fuir la conscription.

Ces guerres interminables rongent le régime de l’intérieur.

La fin du dictateur

En 1968, Salazar est victime d’une chute domestique — il s’effondre d’une chaise dans son bureau.
Victime d’une hémorragie cérébrale, il est remplacé par Marcelo Caetano, un technocrate plus souple, mais prisonnier du système qu’il prétend réformer.
Salazar, inconscient du changement, continuera de croire jusqu’à sa mort, en 1970, qu’il gouverne encore le pays.

1974 : la Révolution des Œillets

Le 25 avril 1974, des officiers jeunes et lassés des guerres coloniales déclenchent un coup d’État pacifique.
Menés par le Mouvement des Forces Armées (MFA), ils s’emparent de Lisbonne sans effusion de sang.

Les soldats mettent des œillets rouges dans le canon de leurs fusils — symbole d’une révolution sans haine.
La population descend dans les rues, applaudit les militaires, renverse la dictature.

“Le Portugal s’est libéré en une journée, avec des fleurs et des chansons.”

L’héritage paradoxal

La Révolution des Œillets met fin à 48 ans de dictature, ouvre la voie à la démocratie et accélère la décolonisation.
Mais elle laisse un pays à reconstruire : ruiné, isolé, avec un million de rapatriés d’Afrique.

Aujourd’hui encore, le souvenir de Salazar divise les Portugais.
Pour certains, il fut le gardien de la stabilité ; pour d’autres, le geôlier d’un peuple étouffé.

De la prudence de 1939 aux œillets de 1974, l’histoire du Portugal est celle d’un long réveil.

Pont du 25 avril à Lisbonne

* Historien portugais Fernando Rosas

Retrouvez dans « C’est dans le roman » une scène que j’ai située à Lisbonne, où j’ai vécu quatre ans.

Commenter

Catégories