L’impasse stratégique d’Israël selon François Martin*

Israël dans l’impasse : la fuite en avant de Benyamin Netanyahu

Vingt mois de guerre, et toujours aucun horizon. Malgré des milliers de frappes, une offensive terrestre d’envergure et des pertes humaines considérables, Israël ne parvient pas à éradiquer le Hamas ni à obtenir la sécurité promise à sa population. François Martin, invité de l’émission Le Samedi Politique, dresse un constat glaçant : Israël est dans une impasse stratégique, politique et morale, et son Premier ministre Netanyahu joue sa survie en instrumentalisant le chaos.

Une guerre sans victoire

Les chiffres sont implacables. Après presque deux ans d’affrontements, seulement 25 % des tunnels du Hamas ont été identifiés, malgré les promesses d’une élimination systématique de l’infrastructure ennemie. Pire : les signes de désagrégation interne se multiplient dans l’armée israélienne. Refus de rejoindre les casernes, permissions annulées, suicides en hausse, débuts de mutineries…

Pour Martin, le moral de l’armée est au plus bas, et l’état-major ne peut plus masquer la lassitude des conscrits, usés par une guerre d’usure sans perspective de sortie.

️ Un pouvoir en chute libre

Sur le plan politique, Netanyahu a perdu sa majorité à la Knesset. La rupture est venue de ses alliés ultraorthodoxes, opposés à l’enrôlement militaire. Avec 50 députés sur 61 requis, le Premier ministre israélien est sur un siège éjectable.

En interne, sa légitimité est contestée ; à l’international, il est de plus en plus isolé. Même aux États-Unis, le soutien n’est plus aussi inconditionnel qu’il ne l’a été sous Trump.

La stratégie du choc et des symboles

Pour maintenir une forme d’autorité, Netanyahou semble s’engager dans une stratégie de démonstration militaire plus que d’efficacité tactique. Bombardements de Damas, frappes sur des églises chrétiennes à Gaza, multiplication d’opérations symboliques visant à montrer ses muscles.

Mais pour François Martin, cela relève d’une politique intérieure désespérée : « Netanyahu joue la carte de la force pour masquer sa faiblesse. »

Une victoire impossible

Selon plusieurs généraux israéliens cités par l’invité, la victoire militaire contre le Hamas est jugée impossible. Le mouvement est trop décentralisé, ses chefs facilement remplaçables, et sa capacité de nuisance toujours intacte.

Le résultat ? Une guerre de façade, sans objectif clair, dont le seul but est désormais la survie politique d’un homme.

Un chef de guerre en fin de cycle

Pour François Martin, Netanyahu n’est plus qu’un chef de guerre affaibli, contraint à surjouer la fermeté pour conserver le soutien d’une base ultra-radicalisée. Il est piégé entre :

  • une coalition fracturée,
  • une opinion publique israélienne épuisée,
  • une communauté internationale de plus en plus critique,
  • et une réalité militaire défavorable.

Une conclusion sévère

Israël ne gagne plus. Il subit. Il réagit. Et il s’enferme dans une spirale où l’action devient l’alibi de l’absence de stratégie.

« Le pays est à bout de souffle. Et Netanyahou ne tient plus que par l’illusion d’un leadership qu’il a perdu », conclut François Martin.

*Bio de François Martin 

Après ce constat de François Martin, se pose la question : face à cet échec, l’occident doit-il et peut-il aider Israël, seul démocratie du Moyen Orient face à l’Iran allié de la Russie et de la Chine ?

1. Israël : allié stratégique ou partenaire encombrant ?

L’Occident (principalement les États-Unis et, dans une moindre mesure, l’Union européenne) considère traditionnellement Israël comme :

  • Un allié démocratique dans une région instable ;
  • Un partenaire militaire et technologique de premier plan (cybersécurité, renseignement, IA) ;
  • Un point d’appui géopolitique contre l’influence de l’Iran, de la Russie et de la Chine.

Mais cette posture est de plus en plus remise en question. Depuis le conflit à Gaza, Israël ne fait plus consensus en Occident :

  • Les opinions publiques se mobilisent contre l’ampleur des bombardements et la situation humanitaire.
  • L’UE est divisée entre soutien inconditionnel et critiques croissantes.
  • Aux États-Unis, la fracture entre républicains pro-Israël et démocrates critiques s’aggrave.

2. Peut-on encore aider un Israël dirigé par Netanyahu ?

L’actuel gouvernement israélien pose un dilemme aux capitales occidentales :

  • Il mène une politique de radicalisation (colonisation, guerre sans stratégie de paix).
  • Il refuse tout compromis politique avec les Palestiniens depuis les immondes attaques terroristes d’octobre 2023
  • Il affaiblit la justice et les institutions démocratiques israéliennes (réforme judiciaire, censure, intimidation des ONG).

Soutenir Israël sans distinction, c’est donc aussi cautionner une dérive illibérale.

3. L’Iran, la Russie et la Chine : une alliance d’opportunité, pas un bloc homogène

L’Iran est un rival direct d’Israël et il bénéficie du soutien stratégique de :

  • La Russie (coopération militaire, drones, soutien en Syrie) ;
  • La Chine (partenaire économique, protectrice diplomatique à l’ONU).

Mais ce trio n’est pas une alliance militaire structurée. Il s’agit plutôt :

  • d’une entente anti-occidentale ponctuelle,
  • sans idéologie commune,
  • ni coordination stratégique globale.

Israël ne combat donc pas un “axe du mal” unifié, mais des puissances aux intérêts parfois divergents.

4. Que peut faire l’Occident ?

L’aide militaire directe est de plus en plus difficile à justifier dans l’opinion publique actuelle. Mais l’Occident dispose d’autres leviers :

  • Pression diplomatique : inciter Israël à revenir à une logique de désescalade, exiger un cadre politique.
  • Conditionner l’aide militaire à des engagements clairs (cessation des bombardements massifs, respect du droit international).
  • Aider à rétablir une architecture régionale de sécurité, intégrant Israël, mais aussi des États arabes modérés, pour isoler l’Iran sans guerre.
  • Soutenir les institutions démocratiques israéliennes, les contre-pouvoirs, les ONG, les journalistes indépendants.

Conclusion : aider, oui, mais pas n’importe comment

Aider Israël, ce n’est pas tout lui permettre.

L’Occident ne peut pas abandonner Israël, non par solidarité aveugle, mais parce qu’il est un maillon-clé d’un Moyen-Orient déjà explosif.
Mais il ne peut pas non plus tout accepter au nom d’une alliance ancienne. Soutenir un allié, c’est aussi lui parler franchement.

La solution passe par un engagement conditionné, mesuré, orienté vers la désescalade et le retour à un projet politique. Dans ce contexte, la solution d’un état palestinien est-elle pertinente ?

Pourquoi plusieurs occasions historiques de création d’un État palestinien ont échoué ?

1. 1947 : Le premier plan de partage de l’ONU (résolution 181)

  • L’ONU propose deux États : un État juif (55 % du territoire), un État arabe (45 %), avec Jérusalem sous contrôle international.
  • L’Agence juive accepte malgré un territoire morcelé.
  • La Ligue arabe et les dirigeants palestiniens refusent, estimant que le plan est injuste et contraire aux droits des Arabes natifs.

Conséquence : guerre israélo-arabe de 1948. Israël est proclamé, les Arabes perdent le reste du territoire, 700 000 Palestiniens sont expulsés ou fuient (Nakba).

2. 1967–1979 : refus, mais contexte difficile

  • Après la guerre des Six Jours (1967), Israël occupe Gaza, la Cisjordanie, le Golan et Jérusalem-Est.
  • Les résolutions de l’ONU (notamment 242) appellent à un retrait contre paix.
  • Les États arabes (sommet de Khartoum, 1967) adoptent les « trois non » : pas de paix, pas de reconnaissance, pas de négociation.
  • En 1979, l’Égypte signe la paix avec Israël… et est isolée dans le monde arabe. Les Palestiniens perdent leur principal soutien.

3. 1993–2000 : les accords d’Oslo et l’échec de Camp David

  • Oslo (1993) : reconnaissance mutuelle, début d’autonomie palestinienne, promesse d’un État.
  • Camp David (2000) : offre d’un État palestinien sur 90–95 % de la Cisjordanie + Gaza.
    • Refus de Yasser Arafat, qui craint de trahir des lignes rouges (Jérusalem, droit au retour).
    • Mais l’offre israélienne (Barak) est jugée très insuffisante par les Palestiniens : pas de continuité territoriale, Jérusalem-Est quasi exclue, maintien de blocs de colonies, sécurité sous contrôle israélien. ( Les Palestiniens, lorsqu’ils dénoncent l’absence de continuité territoriale, pointent un problème fondamental et concret : les territoires qui leur sont proposés pour fonder un État sont morcelés, enclavés et contrôlés de fait par Israël.)

Conséquence : échec des négociations, Seconde Intifada.

4. 2005–2007 : retrait de Gaza, division palestinienne

  • Israël se retire unilatéralement de Gaza (2005).
  • 2006 : victoire du Hamas aux élections.
  • 2007 : guerre civile entre le Hamas et le Fatah → deux autorités rivales palestiniennes.
  • Depuis, aucun interlocuteur unique et légitime pour porter une négociation crédible.

5. 2008, 2014, 2020… des offres toujours incomplètes ou rejetées

  • Diverses propositions ont existé (par Olmert, Kerry, Trump…), souvent fondées sur des concessions minimales à un État palestinien très limité, démilitarisé, sans souveraineté réelle sur ses frontières, ni sur Jérusalem.
  • Le Hamas rejette l’existence d’Israël dans sa charte originelle (modifiée en 2017, mais ambiguë).
  • Le Fatah accepte un État sur les frontières de 1967, mais sans résultat, faute de partenaire israélien durablement engagé.

6. Responsabilités partagées

  • Des offres israéliennes incomplètes,
  • Une colonisation continue (plus de 700 000 colons aujourd’hui),
  • Des gouvernements israéliens successifs refusant tout État réellement souverain, et préférant gérer le statu quo.

Conclusion : un État fantôme et des occasions manquées

Les Palestiniens ont parfois refusé un État… mais pas un État viable.
Israël a parfois proposé un État… mais pas un État souverain.
Et l’Occident, souvent, n’a rien imposé de sérieux.

Le résultat : un peuple sans État, deux leaderships divisés, un territoire morcelé, et une spirale de méfiance devenue quasiment irréversible.

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