Pourquoi Trump s’oppose à Ricardo ?

Donald Trump, derrière son tempérament brutal et ses outrances, a compris une vérité simple : un pays qui n’a plus d’usines, plus de fermes, plus de maîtrise technologique, n’a plus d’indépendance. L’Amérique, dit-il, veut redevenir une nation productrice. L’Europe, elle, persiste à s’endormir dans le mythe d’une mondialisation heureuse.

Quand l’idéologie remplace la réalité

Depuis la chute du mur de Berlin, les élites européennes ont fait de la théorie de Ricardo une religion. Elles ont sacrifié leurs agricultures, bradé leurs industries, détruit leur souveraineté énergétique, persuadées que l’avenir se jouerait dans les services et les marchés financiers. Résultat ? Nous dépendons de la Chine pour nos semi-conducteurs, de l’Amérique pour nos outils numériques, de la Russie – que nous avons voulu diaboliser – pour notre énergie. Voilà l’Europe réduite à un protectorat technologique et énergétique, incapable de se défendre autrement qu’en récitant des dogmes.

Le dollar recule, l’Europe se tait

Trump voit venir la fin du privilège du dollar. Le monde se dédollarise peu à peu, les BRICS avancent leurs pions, et Washington se prépare à l’affrontement en réindustrialisant à marche forcée. Et l’Europe ? Elle applaudit, docile, en se serrant elle-même la corde au cou par des sanctions suicidaires qui affaiblissent ses économies sans entamer la puissance russe. Nous payons le gaz plus cher, nous importons le pétrole indien raffiné avec du brut russe, et nous nous félicitons de défendre les « valeurs »… C’est-à-dire de nous saborder au nom d’un idéal creux.

Trump, pragmatique ; Bruxelles, dogmatique

Trump a vu la désindustrialisation de l’Amérique – cette ceinture de rouille où naissent les colères populistes – et il a réagi. Protectionnisme assumé, rapatriement des usines, réarmement économique. Ce n’est pas un projet parfait, mais c’est une vision. À Bruxelles, que voyons-nous ? Des technocrates répétant qu’« il n’y a pas d’alternative », des dirigeants français qui se glorifient de la start-up nation alors même que les usines ferment, des ministres qui osent encore parler d’« autonomie stratégique » tout en laissant Washington et Pékin dicter l’avenir.

L’Europe contre ses peuples

L’Europe s’est crue moderne en se dépouillant. Elle a appelé cela ouverture, compétitivité, solidarité internationale. La vérité est plus crue : elle a abandonné ses peuples au chômage, à la dépendance, à l’insécurité sociale. Là où les Américains réarment, où les Chinois planifient, où les Russes tiennent, l’Europe s’efface, récitant les sermons du libre-échange comme on récite un catéchisme mort.

Trump est le symbole d’un dirigeant qui assume de défendre son pays, fût-ce au prix du scandale. En Europe, il n’y a plus de scandale, seulement une résignation polie à la décadence. Ce contraste dit tout : les élites européennes persistent dans l’illusion libérale, quand le reste du monde réarme sa souveraineté. Voilà pourquoi l’Europe est aujourd’hui contre ses peuples, et pourquoi demain elle risque de n’être plus rien.

Trump et la Chine : la revanche du monde productif

Donald Trump voit dans le  libre-échange, non pas un idéal de coopération mondiale, mais un piège — une gigantesque machine à délocaliser les emplois américains et à enrichir ceux qui fabriquent à bas coût pour revendre cher aux consommateurs occidentaux.
Dans son discours, la mondialisation a déshabillé l’Amérique ouvrière pour habiller les ateliers du monde, c’est-à-dire la Chine. Ce constat, brutal mais lucide, renvoie à une réalité : la première puissance mondiale s’est volontairement rendue dépendante de ses rivaux pour produire ce qu’elle consomme.

L’Amérique face à sa désindustrialisation

Lorsque Trump fustige le libre-échange, il ne fait pas que défendre des intérêts économiques. Il évoque la crise d’identité d’un pays qui a troqué la fonderie contre la finance, l’usine contre la spéculation, le savoir-faire contre le savoir-vendre.
Le libre-échange, dans sa version dogmatique, a permis aux élites mondialisées de prospérer, mais il a laissé derrière lui des millions d’ouvriers américains au chômage, des villes désertées et des territoires en colère.
C’est cette fracture qu’il exploite — ou qu’il incarne — en promettant la renaissance du “made in America”, le retour du patriotisme économique et la fin d’un commerce mondialisé sans contrepartie nationale.

La contre-offensive chinoise : l’ironie du libre-échange

Mais Pékin, ironie de l’histoire, se pose aujourd’hui en défenseur du libre-échange.
Dans les propos du diplomate Gao*, la rhétorique est ciselée : la Chine défend la “liberté du commerce pour le bien de tous”. Une posture habile, qui inverse les rôles.
Là où Trump accuse la mondialisation d’avoir détruit l’Amérique, la Chine la présente comme une voie d’émancipation collective — tout en utilisant les sanctions américaines pour accélérer son autosuffisance.

Les exemples sont frappants : les semi-conducteurs, jadis importés pour 400 milliards de dollars par an, deviennent désormais une priorité stratégique. Pékin investit massivement pour maîtriser chaque étape de la chaîne de production, du silicium à la puce finale.
Gao va plus loin :

« Bientôt, la Chine exportera des puces au monde entier, faisant baisser les prix. »

L’arme économique américaine se transforme en accélérateur technologique chinois. Ce que Trump présente comme une guerre défensive pourrait bien, à terme, façonner son propre déclin.

Huawei, Beidou et la fierté technologique

L’affaire Huawei cristallise cette guerre invisible. Interdite d’accès au marché américain, privée de technologies occidentales, l’entreprise a survécu — mieux : elle a innové.
Elle symbolise la résilience chinoise face à l’embargo, comme le système de géolocalisation Beidou ou la station spatiale Tiangong, conçue sans aide extérieure.

Lorsque Gao interroge Washington :

« Qui vous donne le droit d’interdire au monde d’utiliser des produits Huawei ? »

il ne pose pas seulement une question commerciale, mais philosophique. Il dénonce ce que la Chine appelle la “surextension impériale” américaine — ce réflexe d’imposer sa loi au nom de la liberté, jusqu’à la vider de son sens.

Un boomerang économique

Cette guerre technologique, loin de briser la Chine, la renforce.
En se coupant volontairement du marché chinois, les États-Unis abandonnent des parts d’influence et poussent Pékin à bâtir un monde parallèle, connecté aux BRICS, à l’Afrique, à l’Asie centrale.

Pendant que l’Occident débat de normes et de régulations, la Chine construit des usines, des ports et des satellites.

Le résultat ? Un renversement silencieux : dans les véhicules électriques, les batteries, l’intelligence artificielle, la Chine n’imite plus — elle devance.

Trump a raison sur un point : la dépendance est un poison. Mais le remède américain — la fermeture — risque d’aggraver le mal.

À vouloir se protéger du monde, les États-Unis pourraient bien se protéger de leur propre avenir.

Libre-échange ou empire des murs ?

Cette confrontation dépasse la simple économie. Elle traduit deux visions du monde :

  • L’une, américaine, veut reprendre le contrôle en érigeant des barrières.
  • L’autre, chinoise, veut étendre son influence en brandissant le drapeau du libre-échange.

Le paradoxe est total : la nation jadis la plus ouverte devient méfiante, tandis que l’ancienne puissance fermée se proclame championne de la mondialisation.
Mais derrière les slogans se cachent les réalités : les États-Unis redoutent le déclin de leur hégémonie, la Chine prépare celui de sa dépendance.

Conclusion : la revanche de la production sur la spéculation

Dans ce duel, l’histoire semble se venger.
Pendant que l’Occident spéculait sur la valeur des marques, l’Orient construisait des usines. Pendant que les démocraties croyaient à la vertu des services, les empires manufacturiers misaient sur la matière.

Le XXIᵉ siècle pourrait bien consacrer le triomphe de ceux qui produisent sur ceux qui financent.
Et si, paradoxalement, le rêve d’autosuffisance américaine prêché par Trump trouvait son accomplissement… en Chine ?

*Victor Gao a été banquier d’affaires chez Morgan Stanley. Il est administrateur de l’Association nationale chinoise des études internationales et directeur exécutif de l’Association du capital-investissement de Pékin. Il est également vice-président du Centre pour la Chine et la mondialisation.

D’autres analyses dans :

Couverture du livre Perspectives

Commentaires récents

  • frank Durand
    26 octobre 2025 - 15h47 · Répondre

    Bonne analyse quand au résultat mais
    – le monde de Ricardo ne préjuge pas des avantages comparatifs de chacun
    – l’Europe et surtout la France s’est désindustrialisée par politique de suppressions de ses avantages comparatifs en établissant 35 heures, congés payés, retraite à 60 ans etc

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