Tintin et le Lotus bleu

Il fut un temps où la diplomatie française voyageait avec panache, panoplie complète : grande vision, posture morale, et carnet de chèques en guise de boussole. Aujourd’hui, elle voyage toujours… mais avec un air de Tintin débarquant à Shanghai, sûr de lui, certain de comprendre le monde, et découvrant à la dernière case que le décor a changé, que les rôles sont inversés, et que le héros n’est plus forcément celui qu’il croyait.

Emmanuel Macron est donc allé à Pékin avec une double mission sacrée : expliquer à la Chine comment régler la guerre en Ukraine — qu’elle n’a ni déclenchée, ni officiellement soutenue — et lui demander, dans la foulée, de bien vouloir rééquilibrer des relations commerciales largement favorables… à la Chine.

Autrement dit : faire la morale tout en demandant des concessions économiques. L’élégance occidentale dans toute sa splendeur.

Mais voilà : Xi Jinping n’est pas un figurant de second plan dans une bande dessinée diplomatique franco-européenne. Et la réponse fut sèche, nette, chirurgicale. La Chine ne prend pas d’ordres, ne reçoit pas d’injonctions, ne joue pas les médiateurs sur commande. Elle soutient la paix, oui — mais à sa manière. Et sûrement pas sous pression, surtout pas en public, et encore moins sous le regard paternaliste des vieilles puissances européennes.

Macron, missionnaire du monde multipolaire… version nostalgique

La France espérait convaincre. Elle est repartie recadrée.
Macron voulait être l’intercesseur de la paix. Il est devenu le messager d’un rapport de force désormais clair : l’Occident ne dicte plus seul l’agenda du monde.

Le président chinois a rappelé, sans détour, que la crise ukrainienne est une affaire entre d’autres acteurs, et que la Chine n’entend pas endosser les erreurs de stratégie occidentales accumulées depuis trente ans. Traduction diplomatique :

“Vous avez allumé l’incendie, ne nous demandez pas de l’éteindre pendant que vous continuez à jeter de l’huile.”

Et pendant qu’on y est :
Les sanctions occidentales contre la Russie ? Merci bien. Elles ont simplement accéléré le basculement de Moscou vers Pékin, consolidant un axe sino-russe que Paris et Bruxelles prétendaient précisément empêcher. Une réussite stratégique d’école.

Le commerce, ou l’art de demander avec autorité… quand on n’a plus les leviers

Sur le plan économique, même décor, même scénario :
L’Europe demande un rééquilibrage.
La Chine offre des promesses symboliques.
Et renvoie la balle : « À vous de créer un climat favorable. »

Autre traduction :

“Quand on dépend structurellement de notre industrie, de nos composants, de notre marché et de nos chaînes logistiques, on ne vient pas négocier en position de donneur de leçons.”

La Chine sait ce qu’elle vaut. Elle sait ce que représente son marché. Elle sait que l’Europe a besoin d’elle bien plus que l’inverse. Et elle joue désormais cette carte à visage découvert — sans faux-semblants, sans sourires diplomatiques de façade.

La fin du monde bisounours de la diplomatie occidentale

Ce face-à-face marque surtout une rupture historique :
Le temps où l’on faisait la morale à Pékin tout en lui demandant de coopérer est terminé.

Les droits de l’homme version sermon parisien, les injonctions humanitaires à géométrie variable, les pressions déguisées en partenariats… Tout cela glisse désormais sur la Chine comme la pluie sur un toit de tuiles glacées.

Xi Jinping n’a pas simplement répondu à Macron.
Il a répondu à Washington.
À Bruxelles.
À l’OTAN.
À tout l’édifice occidental qui croyait encore pouvoir utiliser la Chine comme variable d’ajustement dans ses crises géopolitiques.

Le message est limpide :

“La Chine joue sa propre partie. Et ce n’est plus vous qui écrivez les règles.”

L’Europe découvre qu’elle est devenue un acteur parmi d’autres

Ce qui est sans doute le plus humiliant — diplomatiquement parlant — n’est pas le refus chinois, mais sa publicité assumée.
Xi savait que ses paroles seraient reprises, disséquées, amplifiées.
Il savait que Paris espérait une victoire symbolique.
Il a tout de même choisi la fermeté. Presque la rudesse.

Parce que le rapport de force l’autorise désormais.

L’Europe découvre donc une réalité brutale : elle n’est plus le centre de gravité du monde. Elle n’est plus l’interlocuteur indispensable. Elle doit désormais convaincre, séduire, proposer, marchander — et non plus exiger.

Moralité façon Lotus bleu

Dans cette version moderne de Tintin et le Lotus bleu, le jeune reporter est toujours persuadé qu’il vient révéler la vérité au monde… mais il découvre que le monde n’attend plus vraiment ses révélations. Le décor a changé. Les rôles se sont inversés. Et le Dragon ne baisse plus les yeux.

La visite de Macron aurait pu être un moment de rapprochement.
Elle s’est transformée en démonstration de force chinoise.
Et en avertissement pour l’Occident.

La Chine n’a pas bougé d’un millimètre sur l’Ukraine.
Elle n’a rien lâché de sérieux sur le commerce.
Elle a simplement rappelé qui tient désormais la plume sur l’échiquier mondial.

Et ce n’est probablement que le début.

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